« Schlummert ein »
La galerie Claire Gastaud présente une trentaine d’oeuvres inédites du peintre Jean-Charles Eustache. Cette série est inspirée par l’aria de la cantate BWV 82 de JS. Bach Ich habe genug. Le titre de cette exposition, «Schlumert ein» («Endormissez-vous»), est un extrait de ce dernier.
«À l’instar de David Lynch, je pourrais présenter les choses en ces termes: « J’aime méditer sur un coin bien précis –comme une palissade, un fossé, quelqu’un qui creuse un trou, et puis une fille dans une maison, un arbre, et tout ce qui se passe dans cet arbre– un petit coinbien précis où je peux m’installer. »
Or, si j’aime à grappiller fiévreusement tout autour de moi quelques images, ce n’est que dans l’espoir de tromper mon imagination, car en réalité ce qui suscite mon intérêt dans l’élaboration de ces peintures c’est plutôt les liens invisibles qui se créent entre elles.
« Shlummert Ein » regroupe une série de trente petites toiles, peintes à l’acrylique. Ces peintures correspondent à une perception éclatée de la réalité. Certaines prennent leur source dans un imaginaire collectif sécrété par le cinéma, la télévision, la fiction contemporaine ou encore Internet; d’autres s’inspirent de lieux que moi-même ou des proches ont photographiés.
Cet ensemble d’images hétéroclites s’articulent autour de deux thèmes principaux qui sont d’une part la mutation et l’hybridation des souvenirs que nous avons accumulés, et d’autre part la confrontation entre le regard démiurge de la petite enfance et celui défaillant des adultes que nous sommes devenus.*
Ainsi, certaines peintures mettent l’accent sur la fragilité du paysage, qu’il soit menacé d’altération dans nos souvenirs (This is the way the world ends), ou qu’il soit défiguré par des projets d’urbanisation (Now that we’ve been round the village. I wondered which would miss me least). Mais par ailleurs et a contrario, d’autres oeuvres se focaliseront sur un paysage qui recouvre son état sauvage (The only secret is the dust. A passive place. Now it is night in nest and kennel).
Les peintures qui font allusion à l’évanouissement ou à la mort (In the white hiatus of winter, A pank nobody knew but them) sont des allégories de la cécité (ou perversité) dont notre imagination est atteinte progressivement. En effet, les enfants paraissent plus réceptifs aux faits surnaturels tels les fantômes ou les apparitions, tout comme ils entretiennent des liens bien particuliers avec la Nature: une simple jardinière, soudain, est comparable à une forêt hostile, une cavité au pied d’un arbre est prétexte à des récits fantastiques, et les statues se mettent à murmurer des formules mystérieuses.
Je suis en admiration devant la prodigieuse capacité des enfants à percevoir de petites choses a priori insignifiantes comme par exemple une touffe d’herbe. Ils possèdent une façon d’appréhender le quotidien que nous avons troqué contre un regard souillé et las: désormais la souche de l’arbre devient une connexion avec un univers infernal; le petit sentier qui court dans la campagne est le lieu d’une mauvaise rencontre; un cerisier en fleurs nous susurre à l’oreille que nous ne reverrons pas le prochain printemps; un gentil court d’eau serpente dans un sous bois verdoyant et promène lentement l’ourson en peluche d’un bambin absent; l’aimable statue d’un ange tente en vain de nous distraire, par son sourire, du bruissement sinistre d’une frondaison; des draps, témoins d’un acte ignoble, exhalent leurs secrets sous un soleil radieux… et bien d’autres petits décors d’un univers délicat, en apparence.»
Jean-Charles Eustache